E101: Mardi 10 mai // Mapleton – Pleasant Moutain

73,57km – 10h26′

« Encore un matin, sans raison ni fin, si rien ne trace son chemin » disait l’homme en or.
C’est à croire que Jean-Jacques fût un jour suiveur de Serge. C’est vrai que l’idée de se lever de bon matin et d’aller faire des pauses de 40 minutes sur une route où l’on ne croise personne, n’aurait pas vraiment de sens si ce n’était pour accompagner notre coureur.
Et pourtant, au risque de me répéter, quelle belle façon de voyager !
Ce matin deux bonnes nouvelles : le retour du soleil et des grands espaces !
Que plaisir de se retrouver au milieu de rien. Loin du tumulte de la ville, des pots d’échappements et des milliers de magasins. Les suiveurs asociaux ? Du tout, mais on aime notre petit confort…
Ces trois derniers jours nous ont rappelé à quel point les traversées de villes étaient épuisantes. Et pourtant Salt Lake City fut une ville très enrichissante à parcourir, et étant donné que je trouve l’histoire des mormons particulièrement intéressante, voir de mes propres yeux leur « capitale » était forcément quelque chose de spécial.
Mais maintenant nous allons pouvoir profiter pleinement de nos routes de montagnes retrouvées. Quel plaisir de pouvoir à nouveau prendre son café sous un beau soleil, tout en préparant le ravitaillement, sans avoir à aiguiller Serge dans des rues qui se ressemblent toutes plus les unes que les autres. Je vous parle de routes de montagne, et la preuve en est : peu avant 9h nous sommes déjà remontés à plus de 1500 mètres d’altitude.
C’est assez impressionnant de voir comment seulement dix kilomètres après le début de l’étape il n’y a absolument plus personne. Pas une maison ni âme qui vive.
Il faut dire que l’agglomération de Salt Lake City comprend 82% de la population de l’état. Et à vrai dire cela se comprend, à peine sortis de cette zone urbaine et le relief redevient tout de suite bien plus escarpé, rendant difficle tout installation autre part que dans la vallée du Grand Lac Salé.
Serge va bien. Certes il prend toujours un peu de paracétamol en début d’étape, afin de calmer sa douleur persistante à la hanche, mais il est tout aussi heureux que nous d’en avoir fini avec la ville. Notre route, la highway 89 est assez tranquille. Un peu de trafic certes, mais cela reste raisonnable. Nous passons notre journée à nous rapprocher du Wasatch Plateau, immense chaîne de montagnes s’étendant à l’est de l’Utah, et dont le plus grand sommet –le mont Nebo- culmine à 3,637m.
Lors d’un ravitaillement nous apercevons des ruches pas très loin de nous. Mais tiens tiens, en parlant de ruches, vous vous demandez peut-être pourquoi sur tous les panneaux annonçant des highways des nids d’abeilles sont justement dessinées dessus ? Nous oui, et l’explication n’est pas aussi simple que nous l’imaginions (Serge en a parlé dans une vidéo qui ne figurait que sur sa page facebook, donc je me permets de l’évoquer ici).
Lorsque Brigham Young, deuxième président de l’histoire des mormons, arriva dans la vallée de Salt Lake, et décida d’y installer sa communauté, il créa tout d’abord en 1849 un premier état nommé « Deseret ». Jamais reconnu par le gouvernement américain, l’appellation de ce lieu est tirée du livre de Mormon, et signifie « abeille à miel ». Cette métaphore est une manière d’illustrer les différentes migrations que les mormons ont dû effectuer avant de s’installer ici, mais aussi leur faculté à travailler dur et à s’organiser. Voilà donc la raison pour laquelle tant de ruches sont illustrées un peu partout ici. D’ailleurs pour la petite histoire, un camion contenant 25 millions d’abeilles s’est renversé près de Saint-Georges, dans le sud-ouest de l’Utah en octobre 2011, provoquant la fermeture d’une route durant une journée entière, le temps que les insectes regagnent naturellement leurs nids.
Malgré le calme de cette journée, celle-ci passe au contraire étonnement vite. Notre vieil ami le vent est lui de retour, et se lève sur le coup de midi. Heureusement il vient du nord et malgré sa fraîcheur il poussera Serge dans le dos jusqu’à la fin de l’étape.
En ce début d’après-midi, encore une démonstration que le hasard fait bien les choses. Nous sommes arrêtés à un carrefour, dans un endroit complètement désert. J’aperçois Serge arriver au loin dans le rétroviseur. Je sors de la voiture, ravitaillement à la main, quand je remarque un autre véhicule garé quelques dizaines de mètres derrière nous. Je ne l’avais pas vu. Un homme sort de la voiture, un appareil photo pendant autour du cou et des runnings aux pieds. Pendant quelques secondes j’ai bien cru que c’était le premier américain à venir courir avec Serge, mais il me lance « is that your runner ? » (« est-ce que c’est votre coureur ? » ). J’acquiesce et il m’explique en retour qu’il attend deux joggeuses arrivant sur la route perpendiculaire à la notre. Une fois tout le monde réuni nous leur expliquons le défi de Serge, et à leur tour ils nous racontent le leur : tout a commencé sous l’impulsion d’Ashley Schneider dont la mère était atteinte d’une sclérose en plaques. Cherchant à récolter des dons pour la soigner, Ashley s’est alors lancée dans une traversée Los Angeles – New York longue de 5 291 kilomètres en 2010. Elle devient ainsi la 16ème femme à traverser les USA en courant. Pour continuer cette action, une association fut créé (MS run the US). Celle-ci organise chaque année une traversée identique sous forme de relais entre volontaires, afin de lever des dons pour les gens atteint de cette maladie, mais aussi pour la recherche. Cette année ils sont 18 à se relayer tout au long du parcours, qui a débuté de Los Angeles à la mi-avril et se terminera à New York à la mi-août. Depuis sa création, cette association à permis de récolter 576 000$ grâce au 28 640 kilomètres parcourus jusqu’à présent.
Et bien, quelle coïncidence ! Deux traversées des Etats-Unis qui se croisent à un carrefour perdu au beau milieu de l’Utah. Le destin a encore parlé. Après ce très sympathique échange, notre route continue. Serge finit son ascension du col à 1956 mètres d’altitude. Pour ce « ravitaillement au sommet », mon acolyte Renébuchon lui a concocté un de ses petits sandwichs dont il a le secret. S’en suit une descente de plusieurs kilomètres passant par Fairview puis Mount Pleasant.
Ce soir, pour la deuxième fois seulement depuis le départ du « Run Around the Planet », Serge termine très exactement devant l’hôtel (ou plutôt le motel) où nous logeons ce soir. Cela ne lui était arrivé qu’une seule fois, et c’était à Courtenay lors de la deuxième étape. C’est sur cette pensée nostalgique que je vous laisse, et vous dit à demain pour le passage des 7000 kilomètres… Bonne nuit.

Données de la montre Epix: Garmin Connect

Parcours du mercredi 11 mai: Etape 103