E202: Vendredi 19 Août // Palmer – Anchorage

74,85 km – 10H40′

La voilà. La dernière étape nord-américaine. The last one.
Et pour ce dernier pan de course en Alaska, on ne fait pas les choses comme d’habitude.
Finis les départs à 6h, les coups de fouets au réveil et les seaux d’eau gelée dans le lit.
Ce matin, seul Philippe -qui cherche à atteindre un total de 700 kilomètres en dix jours- part à l’heure habituelle. Deux heures avant Serge pour être exact. Quelques pâtes de fruits, une bouteille d’eau, et il rejoint le point de départ tout seul et à pied. Soit 9,3 kilomètres de plus à rajouter à son compteur d’aujourd’hui.
Pour le reste de l’équipe, c’est grasse matinée. Départ à 8h15. Le rêve.

Ce départ aussi tardif s’explique par l’arrivée à 17h30 de Laure, à l’aéroport Ted-Stevens d’Anchorage. Ce serait dommage qu’elle loupe à quelques heures près les derniers kilomètres de course. Alors on prend notre temps. Nous nous présentons donc au point de départ à 8h30. Nos calculs se sont avérés justes car Philippe se trouve une centaine de mètres plus loin. Parfait. Serge part le rejoindre à petites foulées. Avant même le premier ravitaillement, nos deux coureurs passent devant un chantier, et ne manquent pas de susciter l’attention de deux ouvriers.

Notre route continue direction sud, avant de s’écraser de plein fouet contre le relief, et d’obliquer vers l’ouest. Les moustiques sont là. Comme pour nous dire « allez, une dernière pour la route… ».
Les travaux sont nombreux sur les routes alaskaines, et aujourd’hui ne déroge pas à la règle. Ici point de feux tricolores qui alternent le passage des voitures lorsque les ouvriers bloquent l’une des voies. Ce sont bien deux personnes qui tiennent un panneau « STOP/SLOW » de chaque côté des travaux. Respect à ces deux ouvriers, souvent des femmes, qui accomplissent leur tâche sans broncher au milieu des moustiques.

J’ai pris place à bord de la voiture ravitailleuse avec René. Notre dernier jour de ravitaillement ensemble avant son départ. Alors j’avais envie d’une petite virée nostalgique.

Alors que nous approchons tranquillement d’Anchorage, nous sommes toujours autant encerclés par les arbres et la végétation. Difficile d’imaginer que nous nous dirigeons vers la plus grande ville alaskaine et son lot de bâtiments et de rues. Mais il faut savoir qu’Anchorage et sa zone urbaine sont étroitement liés avec la nature. L’expansion de la ville force de plus en plus les animaux à vivre au beau milieu des humains. Ainsi, on dénombre pas moins de 250 ours noirs et 60 grizzlys se déplaçant et se nourrissant dans Anchorage et sa périphérie. Il est d’ailleurs vivement déconseillé de laisser ses poubelles devant sa porte, car cela les attire à coup sûr. Et le safari n’est pas terminé, puisqu’il est possible d’apercevoir ici des élans (entre 250 et 1000 selon la saison), des loups (une trentaine sont recensés), des mouflons de Dall, des renards et même des castors.
Et clou du spectacle, on peut aussi voir des baleines le long de la côte.

Aujourd’hui deux portions d’highways sont à franchir. La première se fait sans problème. Mais nos deux coureurs ne prennent pas vraiment de plaisir. Et nous non plus d’ailleurs. C’est toujours le même problème sur les highways, n’ayant pas le droit de nous arrêter sur le bas-côté, nous sommes obligés de ravitailler nos coureurs aux différentes sorties. Et sommes donc dépendants du kilométrage où elles sont placées. Même si aujourd’hui je dois avouer qu’elles sont plutôt bien réparties, et nous permettent presque de nourrir nos runners comme si de rien n’était.
Nous repartons ensuite pour une dizaine de kilomètres de zone plus urbanisée. La ville se fait de plus en plus sentir. Une fine pluie tombe. La première depuis que nous sommes en Alaska.
Peu avant le 50ème kilomètre, nous nous apprêtons à retourner sur la highway… mais il s’avère que celle-ci est interdite aux piétons et aux cyclistes. Ah ! Premier imprévu. Du stress, oui ! Ces traversées de villes et leurs lots d’imprévus… ça m’avait presque manqué. Ni une, ni deux, la voiture « papillon » part en éclaireuse et finit par trouver une une piste cyclable appelée Bike Road to Anchorage. Parfait. L’important est maintenant de s’assurer qu’elle ne rajoute pas trop de kilomètres par rapport à la highway. Surtout après la déconvenue d’hier, où nous nous sommes aperçus qu’il ne restait non pas 67 kilomètres à parcourir, mais bien 75. Et en fin d’étape, deux ou trois kilomètres de plus, ce n’est pas rien. Christophe regarde avec son téléphone : cette piste a l’air de parfaitement longer la highway. Très bien, on y va. De tout façon nous n’avons pas le choix.

Deux heures plus tard nous voilà sortis de la piste. Mis à part un ravitaillement assez épique au beau milieu de travaux, tout s’est parfaitement déroulé. Nous arrivons dans les quartiers nord d’Anchorage. La pauvreté est partout sous nos yeux. Cela me rappelle cette misère que nous avions traversée au nord de Las Vegas. Certaines personnes titubent, d’autres sont allongées dans la rue, le plus souvent dans un état précaire. Cela fait de la peine à voir. Il faut dire qu’Anchorage, dont l’économie est presque essentiellement basée sur le pétrole, a traversé une véritable dépression économique dans les années 90, après que le prix du baril eu dramatiquement chuté. Et même si les températures sont plus clémentes en bord de mer, il ne faut pas oublier que nous sommes en Alaska. Et qu’il existe une grande partie de l’année où la ville est comme paralysée. Pourquoi avons-nous traversé autant de zones en travaux ces derniers jours ? Tout simplement parce que l’été est la seule période où il est possible de réparer les routes. Et j’imagine mal la personne qui était payée à tenir le panneau « STOP/SLOW » réaliser ce travail toute l’année.
Difficile donc de subsister dans une ville ayant traversé une énorme crise économique (rendez-vous compte, dans les années 90 tous les produits de consommation et les services étaient plus chers ici qu’à New York !) et qui se retrouve comme bloquée pendant plus de la moitié de l’année.

Derniers kilomètres, et voilà que nous retrouvons Laure. Tout le monde est dans les temps, et le ciel complètement bouché depuis le début de la journée laisse place à un superbe soleil pour cette fin d’étape. Que dis-je, cette fin de continent !
Serge et Philippe suivent une dernière piste cyclable, la Coastal Trail, longue de 4 kilomètres, et nous les retrouvons de l’autre côté, au Lynn Ary Park. Ils franchissent la ligne d’arrivée imaginaire et se font une belle accolade sous les applaudissements déchaînés des suiveurs.
Nous y voilà. 14094,25 kilomètres en 202 jours.
Au passage Serge établit un temps sur la distance Miami – Anchorage, 11 818 km en 166 jours et 15 heures. Soit une moyenne de 70,92 km/jour.
Bravo aussi à Philippe, qui aura couru 710 kilomètres en 10 jours de course. Prochaine étape pour lui, la Namibie.
Il est maintenant temps de tourner la page nord-américaine. Une pensée à toutes les personnes qui ont permis à Serge de traverser ce continent. Laure bien évidemment, mais aussi tous les suiveurs : René, Bertrand, Maxime, Emmanuelle, Philippe, Christophe, Jean-Michel et Victor. Monika et ses montages de qualité.
A bientôt, pour la suite de l’aventure… Dimanche et Lundi ce sera journées « Off » avant de prendre l’avion lundi vers une destination inconnue car non prévue au programme initial. Restez connectés, car nous n’avons pas terminé de partager avec vous des contrées plus exotiques les unes que les autres … au pas de course !

Données de la montre Epix : Garmin Connect